Une énergie électrique abondante et bon marché fait de l’Islande un haut lieu du minage de cryptomonnaies. Des activités qui prennent des allures de western. Reportage.
D’un côté de la route, la mer et les vagues qui s’abattent sur une côte de lave refroidie. De l’autre, un chemin qui s’éloigne sur quelques kilomètres vers quatre longs hangars gris. Deux grues sont au travail. Situées à un jet de pierre de l’aéroport international d’Islande de Keflavik, les installations de la compagnie d’Advania sont en phase d’agrandissement. C’est là que des ordinateurs tournent en permanence pour permettre la production du bitcoin, soit le «minage» (voir encadré). Les machines chauffent dans un bruit assourdissant. Pas une âme qui vive dans ces vastes entrepôts. Toutes les opérations sont automatisées ou effectuées à distance.
«Advania a été créée en 2012 pour devenir la plus importante compagnie de technologie informatique d’Islande. La firme appartient à des intérêts suédois ainsi qu’à des investisseurs islandais», explique Gisli Kr, directeur commercial d’Advania à Reykjavik. Sur un effectif total de quelque 1400 collaborateurs, 700 travaillent en Islande. Advania ne fait pas que du minage de bitcoins mais utilise aussi ses ordinateurs pour le stockage de données et le calcul informatique à haute puissance. Les activités classiques du secteur en plein essor des «data centers».
Pour cette industrie très énergivore, l’Islande dispose d’avantages compétitifs déterminants. Grâce à des sous-sols gorgés d’eau chaude et à de nombreux barrages, le pays profite d’une électricité aussi abondante que bon marché. Le kilowattheure y est deux fois moins cher que dans l’Union européenne. Atout supplémentaire, cet archipel, traversé par le cercle polaire arctique, affiche une température moyenne de 5 degrés. Une fraîcheur appréciée pour refroidir les ordinateurs.
Advania a débuté dans le minage dès 2014 et figure ainsi parmi les compagnies pionnières dans le domaine des cryptomonnaies. «Nos activités dans le bitcoin consistent essentiellement à louer nos capacités informatiques à des tiers, qui les utilisent eux-mêmes afin de faire du minage», détaille Gisli Kr.
Une énergie renouvelable, mais pas infinie
Si Gisli Kr privilégie la discrétion, ce n’est pas le cas de Philip Salter, jeune ingénieur allemand d’origine australienne de 26 ans qui a rejoint la compagnie Genesis Mining en 2014. Lancée en 2013, la société exploite des milliers de stations de minage («mining rigs»). «Nous faisons peu de minage pour nous-mêmes mais fonctionnons comme un «cloud mining». N’importe qui peut utiliser des capacités de calcul fournies par notre société afin de produire de la cryptomonnaie. C’est aussi simple que d’ouvrir un compte en ligne», se félicite Philip Salter. Qui revendique pour sa société une position de leader: «Nous avons travaillé dur afin de devenir le numéro un mondial du minage de bitcoins. Nous sommes venus en Islande car, en plus d’offrir une électricité au prix plancher, le pays dispose d’une énergie complètement renouvelable.»
Une énergie renouvelable peut-être, mais pas infinie. Voilà le point qui préoccupe Smari McCarthy, élu du Parti pirate au Parlement islandais. «Les usines électriques d’Islande produisent une quantité d’énergie qui dépasse pour l’heure la demande et peut donc être réquisitionnée pour le minage de cryptomonnaies. Cependant, nous sommes inquiets au Parti pirate car si l’afflux de mineurs de bitcoins se poursuit au même rythme, il deviendra nécessaire de construire de nouveaux barrages, ce qui impliquera l’inondation de vallées. La sollicitation de ressources géothermiques s’avère aussi plus délicate pour l’environnement que ce que l’on s’imagine.»
Au début de cette année, Johann Sigurbergsson, responsable du développement chez la compagnie d’énergie islandaise HS Orka, a été abondamment cité dans la presse internationale après avoir déclaré: «D’ici fin 2018, les fermes de minage de bitcoins consommeront davantage d’électricité que l’ensemble des ménages du pays.»
Américain résidant en Islande depuis 2012, Jason Scott est un entrepreneur dans les cryptomonnaies qui a installé le premier distributeur de bitcoins de l’île, l’Hôtel Hlemmur Square à Reykjavik. L’informaticien observe: «La technologie va plus vite que la réglementation. Les autorités n’ont pas l’air d’avoir conscience de l’ampleur que prend le minage de cryptomonnaies en Islande. Les centres de données s’implantent ici après des négociations privées avec des fournisseurs d’électricité, sans en aviser personne. Au final, ce secteur consomme l’énergie locale en toute liberté et sans aucune limite.»
Des airs de Far West
A qui cette ruée vers l’or profite-t-elle ? En tout cas pas à l’Islande. Les fermes de minage tournent quasiment toutes seules et ne créent pas d’emplois. La création de cryptomonnaies n’est pas taxée par le gouvernement et aucun gain n’est réinjecté dans l’économie locale. Or, le minage et l’hébergement de capacités informatiques rapportent beaucoup. A titre d’exemple, la compagnie japonaise GMO a lancé fin 2017 du minage dans «deux pays nordiques», indique un communiqué qui ne précise pas les pays concernés. Mais il est très probable que l’Islande soit l’un des deux. GMO a réalisé au premier trimestre 2018 un chiffre d’affaires de 27 millions de dollars avec sa seule division cryptomonnaies. Sur l’ensemble de l’année 2017, qui a connu une flambée du bitcoin, ce chiffre d’affaires a atteint 91 millions de dollars.
Smari McCarthy a fait une découverte étonnante dans l’archipel de Vestmannaeyjar dont il est originaire. Il a photographié avec son portable trois containers apparemment abandonnés sur une plage, reliés au sol à une source d’énergie. De l’intérieur provient le grondement caractéristique des «rigs» de minage. A travers des interstices, il a aperçu des lumières clignotantes. Ces installations ressemblent à un site sauvage de minage. «Personne ne sait rien sur ces containers qui ne sont enregistrés nulle part. L’Islande est un pays en grande partie désert et peu contrôlé. Des conditions qui permettent ce genre de singularité.»
Autre développement digne d’un western, les fermes de minage islandaises ont été, entre décembre et janvier dernier, la cible de voleurs qui ont dérobé 600 stations de minage pour une valeur de 2 millions d’euros. Une dizaine de personnes ont été arrêtées en février, tandis que le butin n’a pas été retrouvé. Dernier épisode en date, le cerveau présumé des braquages s’est échappé de sa prison suédoise pour apparemment repartir en Islande. Il fait actuellement l’objet d’un mandat international.
Bienvenue dans le «Wild Wild North» des cryptomonnaies.
Voyage au pays du minage de bitcoins
RépondreSupprimerPAR MARY VAKARIDIS
16 Juillet 2018
Une énergie électrique abondante et bon marché fait de l’Islande un haut lieu du minage de cryptomonnaies. Des activités qui prennent des allures de western. Reportage.
D’un côté de la route, la mer et les vagues qui s’abattent sur une côte de lave refroidie. De l’autre, un chemin qui s’éloigne sur quelques kilomètres vers quatre longs hangars gris. Deux grues sont au travail. Situées à un jet de pierre de l’aéroport international d’Islande de Keflavik, les installations de la compagnie d’Advania sont en phase d’agrandissement. C’est là que des ordinateurs tournent en permanence pour permettre la production du bitcoin, soit le «minage» (voir encadré). Les machines chauffent dans un bruit assourdissant. Pas une âme qui vive dans ces vastes entrepôts. Toutes les opérations sont automatisées ou effectuées à distance.
«Advania a été créée en 2012 pour devenir la plus importante compagnie de technologie informatique d’Islande. La firme appartient à des intérêts suédois ainsi qu’à des investisseurs islandais», explique Gisli Kr, directeur commercial d’Advania à Reykjavik. Sur un effectif total de quelque 1400 collaborateurs, 700 travaillent en Islande. Advania ne fait pas que du minage de bitcoins mais utilise aussi ses ordinateurs pour le stockage de données et le calcul informatique à haute puissance. Les activités classiques du secteur en plein essor des «data centers».
Pour cette industrie très énergivore, l’Islande dispose d’avantages compétitifs déterminants. Grâce à des sous-sols gorgés d’eau chaude et à de nombreux barrages, le pays profite d’une électricité aussi abondante que bon marché. Le kilowattheure y est deux fois moins cher que dans l’Union européenne. Atout supplémentaire, cet archipel, traversé par le cercle polaire arctique, affiche une température moyenne de 5 degrés. Une fraîcheur appréciée pour refroidir les ordinateurs.
Advania a débuté dans le minage dès 2014 et figure ainsi parmi les compagnies pionnières dans le domaine des cryptomonnaies. «Nos activités dans le bitcoin consistent essentiellement à louer nos capacités informatiques à des tiers, qui les utilisent eux-mêmes afin de faire du minage», détaille Gisli Kr.
Une énergie renouvelable, mais pas infinie
Si Gisli Kr privilégie la discrétion, ce n’est pas le cas de Philip Salter, jeune ingénieur allemand d’origine australienne de 26 ans qui a rejoint la compagnie Genesis Mining en 2014. Lancée en 2013, la société exploite des milliers de stations de minage («mining rigs»). «Nous faisons peu de minage pour nous-mêmes mais fonctionnons comme un «cloud mining». N’importe qui peut utiliser des capacités de calcul fournies par notre société afin de produire de la cryptomonnaie. C’est aussi simple que d’ouvrir un compte en ligne», se félicite Philip Salter. Qui revendique pour sa société une position de leader: «Nous avons travaillé dur afin de devenir le numéro un mondial du minage de bitcoins. Nous sommes venus en Islande car, en plus d’offrir une électricité au prix plancher, le pays dispose d’une énergie complètement renouvelable.»
Une énergie renouvelable peut-être, mais pas infinie. Voilà le point qui préoccupe Smari McCarthy, élu du Parti pirate au Parlement islandais. «Les usines électriques d’Islande produisent une quantité d’énergie qui dépasse pour l’heure la demande et peut donc être réquisitionnée pour le minage de cryptomonnaies. Cependant, nous sommes inquiets au Parti pirate car si l’afflux de mineurs de bitcoins se poursuit au même rythme, il deviendra nécessaire de construire de nouveaux barrages, ce qui impliquera l’inondation de vallées. La sollicitation de ressources géothermiques s’avère aussi plus délicate pour l’environnement que ce que l’on s’imagine.»
RépondreSupprimerAu début de cette année, Johann Sigurbergsson, responsable du développement chez la compagnie d’énergie islandaise HS Orka, a été abondamment cité dans la presse internationale après avoir déclaré: «D’ici fin 2018, les fermes de minage de bitcoins consommeront davantage d’électricité que l’ensemble des ménages du pays.»
Américain résidant en Islande depuis 2012, Jason Scott est un entrepreneur dans les cryptomonnaies qui a installé le premier distributeur de bitcoins de l’île, l’Hôtel Hlemmur Square à Reykjavik. L’informaticien observe: «La technologie va plus vite que la réglementation. Les autorités n’ont pas l’air d’avoir conscience de l’ampleur que prend le minage de cryptomonnaies en Islande. Les centres de données s’implantent ici après des négociations privées avec des fournisseurs d’électricité, sans en aviser personne. Au final, ce secteur consomme l’énergie locale en toute liberté et sans aucune limite.»
Des airs de Far West
A qui cette ruée vers l’or profite-t-elle ? En tout cas pas à l’Islande. Les fermes de minage tournent quasiment toutes seules et ne créent pas d’emplois. La création de cryptomonnaies n’est pas taxée par le gouvernement et aucun gain n’est réinjecté dans l’économie locale. Or, le minage et l’hébergement de capacités informatiques rapportent beaucoup. A titre d’exemple, la compagnie japonaise GMO a lancé fin 2017 du minage dans «deux pays nordiques», indique un communiqué qui ne précise pas les pays concernés. Mais il est très probable que l’Islande soit l’un des deux. GMO a réalisé au premier trimestre 2018 un chiffre d’affaires de 27 millions de dollars avec sa seule division cryptomonnaies. Sur l’ensemble de l’année 2017, qui a connu une flambée du bitcoin, ce chiffre d’affaires a atteint 91 millions de dollars.
Smari McCarthy a fait une découverte étonnante dans l’archipel de Vestmannaeyjar dont il est originaire. Il a photographié avec son portable trois containers apparemment abandonnés sur une plage, reliés au sol à une source d’énergie. De l’intérieur provient le grondement caractéristique des «rigs» de minage. A travers des interstices, il a aperçu des lumières clignotantes. Ces installations ressemblent à un site sauvage de minage. «Personne ne sait rien sur ces containers qui ne sont enregistrés nulle part. L’Islande est un pays en grande partie désert et peu contrôlé. Des conditions qui permettent ce genre de singularité.»
Autre développement digne d’un western, les fermes de minage islandaises ont été, entre décembre et janvier dernier, la cible de voleurs qui ont dérobé 600 stations de minage pour une valeur de 2 millions d’euros. Une dizaine de personnes ont été arrêtées en février, tandis que le butin n’a pas été retrouvé. Dernier épisode en date, le cerveau présumé des braquages s’est échappé de sa prison suédoise pour apparemment repartir en Islande. Il fait actuellement l’objet d’un mandat international.
RépondreSupprimerBienvenue dans le «Wild Wild North» des cryptomonnaies.
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